« LE CHASSE MARÉE N°242 – RUBRIQUE ATELIER »
Parce que c’est un incontournable de la presse maritime et principalement parce que ses articles sont une mine d’information précieuse, chaque mois nous vous proposons de redécouvrir un article technique publié dans les précédents numéros du Chasse-Marée.
Pour cette première édition nous avons décidé de vous faire découvrir les différentes techniques qui peuvent être utilisées pour assembler des pièces sur un bateau en bois. Voici quelques repères sur différentes solution envisageables, à l’exclusion du collage.
Entre la vis, le clou, le rivet et le boulon, le cœur du néophyte balance. Nous avons donc demandé à Marcel Debêque de nous éclairer. Ce charpentier expérimenté a travaillé depuis le début des années soixante-dix dans divers chantiers traditionnels et a réalisé toutes sortes de bateaux, du navire de pêche au yacht, en passant par le camin et la yole à clins. Depuis peu implanté à Lesconil, dans le pays Bigouden, il construit actuellement un Cormoran pour un particulier du Morbihan.
« Au Moyen-Age, explique-t-il, le bordé était fixé sur les membrures à l’aide de gournables en bois [chevilles]. Les Vikings utilisaient pour leur part des pointes de fer forgé dont ils rabattaient les extrémités sur des carrés de tôle. A la Renaissance, les Anglais ont commencé à utiliser des gros clous à section carrée en cuivre, car ils avaient constaté que le tanin du chêne attaquait le fer… On peut aussi signaler, pour la petite histoire, qu’au XIXe siècle, la Navy et certains constructeurs de yachts ont parfois employé des chevilles à bout perdu en bronze, à côté des rivets, des vis ou des boulons. »
Si la gournable n’est plus guère employée de nos jours, les autres méthodes de fixation n’ont pas fondamentalement évolué – du moins en dehors du collage. Marcel Debêque propose de les classer en fonction de leur efficacité, en allant de la plus faible à la plus grande.
Le clou, moins solide que le rivet
Le simple clou à bout perdu – dont la pointe ne ressort pas du bois – se situe tout en bas de l’échelle. Il est pourtant très utilisé dans la construction classique, par exemple pour le bordé à franc-bord sur des membrures sciées et pour diverses pièces de charpente. « Les clous galvanisés sont rugueux et tiennent bien dans le bois, précise Marcel Debêque, surtout s’ils sont plantés avec des angles qui se contrarient pour empêcher que la pièce puisse s’arracher. Les clous de cuivre sont plus lisses et ont tendance à glisser. En inox, c’est encore pire : seuls les clous crantés peuvent alors être utilisés. »
Le rivet est jugé plus solide que le clou et laisse de plus une certaine souplesse aux pièces assemblées. « Il convient parfaitement pour un bateau à clins avec des membrures et un bordé légers, poursuit Marcel Debêque, sauf que les abouts des virures dans les râblures, qui nécessitent un vissage. Le rivet est également adapté aux liaisons d’un bateau de plaisance à membrures étuvées et ployées. Le principe de construction doit en fait guider le choix du mode d’assemblage.
La vis offre une meilleure tenue lorsqu’on n’est pas obligé de traverser le bois. De surcroît, elle permet une mise en oeuvre rapide grâce à la visseuse portative. Cette vis peut être à tête fraisée ou hexagonales (tire-fond), ce qui n’a guère d’importance. En revanche, la vis cruciforme ou avec une empreinte en étoile (dite « torx ») est préférable à la vis à tête fendue sur la-quelle le tournevis peut déraper.
Pour les vis Inox, la poste doit se faire avec une visseuse à débrayage, sous peine de casser les têtes de vis en cas de couple de serrage trop fort. Mais ces vis ont l’avantage de ne pas rouiller, un atout partagé avec les vis en bronze et en laiton Marine. « Attention tout de même, avec ces dernières, de ne pas créer de couple électrolytique avec l’Inox », note Marcel Debêque.
Le boulon, solide et facile à changer
Le boulon est constitué d’une tête prolongée d’un corps lisse et terminé par un filetage sur lequel vient se visser un écrou précédé d’une rondelle. « C’est le mode de fixation le plus solide, affirme le charpentier. La pression est forte et uniforme. Autres avantages : le boulon peut être serré, desserré et changé aisément. Il demeure cependant peu utilisé pour le bordé des bateaux non vaigrés – surtout pour des raisons esthétiques -, sauf dans la construction mixte (ou composite) où le bordé bois est boulonné sur une charpente métallique. Cela a été le cas pour des grands navires de charge, comme le célèbre Cutty Sark. » De façon plus générale, le boulonnage doit être privilégié pour la charpente axiale, la fixation des varangues et des membrures au niveau de la quille, ainsi que celle des serres et des cadènes.
Et pour les ponts ? on cloue ? on visse ? ou on boulonne ? « Tout dépend de l’aspect final recherché, répond Marcel Debêque. Le clou convient parfaitement au pont d’un bateau de pêche. Pour un pont latté, on peut également cacher les têtes de clous sous le joint élastomère, ce qui n’est pas possible avec des vis ; ces dernières doivent être dissimulées sous des tapons [pastilles de bois]. En fait, seule la fixation par collage ne laisse aucune trace apparente. » Mais il s’agit là d’un autre sujet…
Poser un rivet sur un clin
Avant de riveter, il faut percer le bois avec une mèche affûtée en « langue d’aspic », d’un diamètre égal à la section du clou carré. Le perçage s’effectue à la moitié du recouvrement des clins à un angle d’environ 85°, ce léger biais limitant les possibilités de jeu. Le clou est alors enfoncé au marteau, jusqu’à ce que sa pointe sorte du côté opposé du bois. Une coupelle de contre-rivure (ou coquille) est entrée en force sur cette pointe à l’aide d’une bouterolle, un cylindre métallique à l’extrémité usinée (un trou central laisse passer la pointe et un fraisage en creux épouse la forme de la coupelle). Une fois le rivet posé, la pointe du clou est coupée, ne laissant dépasser qu’un picot de longueur équivalente à la section du clou. Deux personnes vont alors mater le rivet : l’une empêche le clou de ressortir en compressant sa tête avec une masse métallique lourde (le tas), l’autre tapant au marteau sur le picot qui dépasse de la coquille. Le rivet est d’abord maté à petits coups de marteau (dix ou douze coups), pour chauffer le cuivre. Une fois le métal bien aplati, deux coups énergiques de marteau avec une bouterolle à empreinte creuse hémisphérique assurent le matage et le serrage définitifs du rivet. La coupelle doit avoir conservé sa forme sphérique pour que l’assemblage reste souple dans le temps. D’une membrure à l’autre, on compte cinq rivets, soit trois par maille.
Si cet article vous a plu, vous pouvez le retrouver dans le magazine Chasse-Marée n°242 de juillet 2012 en vente directement sur leur site internet. Vous pourrez également découvrir d’autres articles :
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